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Le caractère camouflé de l'antiaméricanisme en France "Mais pourquoi les Américains sont-ils si durs envers la France?" me demandait, l'autre jour, un collègue de M6, en évoquant leurs médias. La réponse est facile : depuis belle lurette, les Français parlent et agissent avec une dureté sans égal à l'encontre des États-Unis. Et alors que la dureté américaine est passagère, liée à un évènement précis, la dureté française est de nature permanente et baigne dans un atmosphère qui, de la culture à la politique, se complait dans un réflexe anti-américain quasi-automatique. L'une des raisons que certains Français se trouvent être stupéfaits, c'est que cet anti-américanisme est souvent camouflé, autant pour eux-mêmes que pour les étrangers, caché sous des paroles objectives et des intentions éminemment louables. Tout ce qui est américain est bon pour être exagéré, déformé, moqué, ridiculisé, traité avec cynisme, et taxé de scandaleux, de Hollywood et des fast foods à la société de consommation et la politique étrangère de Washington. Au lieu de tourner le débat vers la question de la justesse de la position américaine sur un point précis ou non, et à quel point les Américains pourraient avoir raison ou tort, l'on a pris l'habitude, à droite comme à gauche, de sortir les formules négatives toutes faites (noms communs et/ou adjectifs), comme "néo-colonialisme, capitalisme effréné, ultra-libéralisme, arrogance, le cowboy de la Maison Blanche, ils veulent dominer le monde", et j'en passe. L'on remarquera que ces formules n'apportent aucune information véritable sur un sujet particulier. Mais leur connotation négative signifie que les Américains se trouveront toujours en porte à faux. La presse n'est pas innocente dans l'utilisation de formules plutôt négatives pour les Américains (et positives pour les Français) : Paris résiste-t'il à faire cause commune avec ses pairs? On écrit que "la France est restée ferme", que "Paris affiche son indépendance". Washington résiste-t'il à faire cause commune avec ses pairs? On écrit que "l'administration américaine fait bande à part", les États-Unis "font preuve d'intransigeance". Et quand c'est un allié des Américains qui résiste à faire cause commune avec ses pairs — en l'occurence Tony Blair ou José Maria Aznar — voilà qu'on a tôt fait de le traiter de "vassal" ou de "petit télégraphiste". Tony Blair, Silvio Berlusconi, et José Maria Aznar ne suivent pas les Américains dans leurs positions sur la peine de mort, sur le protocole de Kotyo, et sur la cour internationale de justice, par exemple, et leur sont même diamétralement opposés. Mais qu'importe! il suffit qu'ils se positionnent du côté de George W Bush sur une seule question (celle de l'Irak), et voilà que tous sont taxés d'être les caniches d'un cowboy dangereux. Et s'ils sont des vassaux, c'est que les Américains sont des oppresseurs qui "veulent diriger le monde". Et voilà que c'est l'Amérique qui se trouve dans le rôle du "méchant", devant un dictateur responsable de centaines de milliers de morts. Il ne semble être venu à l'idée de personne en France, tant dans les couloirs du pouvoir que dans certaines rédactions, que si ces premiers ministres se sont rangés aux côtés des Américains (et contre leurs propres opinions publiques respectives), c'est que tout simplement, ils pourraient avoir décidé, après mûre réflexion et non sans courage, que c'était Washington qui avait choisi la bonne voie, en tout cas sur ce sujet particulier. Autre exemple d'anti-américanisme camouflé en France : quand des Tchèques et des Polonais veulent, comme les Britanniques, afficher leur indépendance, on leur dit qu'ils "ont perdu une bonne occasion de se taire", en détournant le sujet (en l'oubliant, à vrai dire) et en se rabattant sur la nécessité d'unité européenne. L'on remarquera que ceux-ci pourraient rétorquer que si les Français et les Allemands veulent vraiment que l'Europe parle d'une seule voix, eh bien, que Paris et Berlin se rangent du côté de Londres, Rome, Madrid, Prague, et Varsovie! Ah, mais ce n'est pas cela que l'on veut dire à Paris. La seule politique européenne qui vaille semble être celle conçue à Paris, et qui en est une qui s'oppose à, ou en tout cas qui se démarque de, celle de Washington (à moins, evidemment, que ce ne soit un sujet sur lequel le gouvernement français s'accorde avec les Américains). Car apparemment, faire front commun avec la France (comme le fait par exemple la Belgique), dans la pensée française, ce n'est nullement être le caniche de Paris ; non, c'est faire preuve d'une remarquable lucidité, d'une indépendance d'esprit incontestable, et d'une vision éminemment louable. L'on remarquera, donc, que l'on pourrait aisément déformer la position pro-française de la Belgique pour dire que le gouvernement belge est le caniche de Jacques Chirac, ou pour avancer que si Chirac et Gerhard Schröder ne sont pas les caniches de Saddam Hussein, en tout cas ils font le jeu du dictateur iraquien. Et les cyniques qui accusent Bush de faire la guerre pour le pétrole pourraient tout autant baser l'intérêt de la France — ainsi que celui des "humanistes" scandant dans les rues — pour les pays arabes sur la présence de l'or noir dans cette partie du monde. Si cela était le cas, Bruxelles, Paris, et Berlin pourraient rétorquer que c'est ridicule de parler ainsi, qu'ils suivent juste ce qu'ils pensent être la politique la plus propice à une bonne conduite des relations internationales. Mais comme nous l'avons vu plus haut, n'est-ce pas exactement le même discours que tiennent Blair et ses pairs par rapport à Washington, pour ne pas parler de Bush lui-même? Mais la formule d'antiaméricanisme camouflée la plus commune est sans doute la phrase qui sonne ainsi : "Nous n'avons rien contre l'Amérique et le peuple américain, au contraire ; nous voulons juste faire comprendre à nos amis américains que nous ne sommes pas d'accord avec la politique de leurs dirigeants." Énoncé ainsi, le message prend un air bien innocent, presque anodin. Or, si l'on le regarde de plus près, l'on s'aperçoit qu'il abrite une condescendance d'une portée extrême. Car si l'on lit entre les lignes, on verra le ton de ce message. Que suggère-t'il? Ne suggère-t-il pas que la politique américaine est mesquine, avide, raciste, barbare, belliciste, aveuglée, et responsable de la grande majorité des malheurs de ces 50 dernières années, alors que l'expression "nos amis américains" signifie en fait "ces êtres infantils et irresponsables que nous devons essayer d'amadouer"? Car le message (qui est, rappelons-le, français) suggère aussi, évidemment, que les Français, eux, ne peuvent être autre que naturellement sages, mûrs, raisonnables, généreux, fraternels, et visionnaires. La protestation selon laquelle ce serait les dirigeants, et non pas le peuple américain (pour qui "nous portons le plus grand respect"), avec qui "nous sommes en désaccord" ne tient pas la route non plus : car si de tels monstres (le mot n'est pas trop fort) sont au pouvoir depuis un demi-siècle, il s'ensuit logiquement que les sujets qui les ont élus peuvent difficilement être, pour leur vaste majorité, autre chose que… bêtes, avides, racistes, aveugles, ou tout du moins (criminellement?) inconscients pour ne pas voir ce qui est tellement évident aux yeux des Hexagonaux. Il est intéressant de noter que nombre de Français, qui n'aiment rien de mieux que de fustiger la soi-disante propensité américaine de voir le monde en bien et en mal, ainsi que leur côté religieux, semblent croire en leur propre version du bien et du mal. Ce message auto-congratulatoire est peut-être prononcée de façon plus subtile, et en omettant le vocabulaire de la religion, mais la croyance est la même : comme par le plus grand des hasards, c'est l'autre (l'Amérique) qui incarne la cupidité, la rigidité, la duplicité, la sournoisie, le bellicisme, l'unilatéralisme, et la volonté de dominer le monde (le mal) tandis que ce sont les nôtres (les Français ou, en tout cas, certains Français de tendance progressiste) qui incarnent la solidarité, la justice, le respect d'autrui, la paix, la compassion, les vraies valeurs, le terroir et la tradition, et la promesse d'une vie meilleure sur terre pour tous (le bien). Bien souvent, la France semble avoir son propre axe du mal : L'Amérique, le capitalisme, et tout ce qui pourrait être taxé (à tort ou à raison) de réactionnaire.
Dans cette perspective, la stupéfaction de mon collègue de M6 à propos de la dureté américaine devient claire. La question qu'il (se) pose est "Comment les brebis égarés et aveuglés que sont les Américains peuvent-ils nous en vouloir, à nous, Français généreux et visionnaires, d'essayer de les remettre sur le droit chemin?" Mais comme le démontre les récentes manifestations en Côte d'Ivoire et au Libéria, par exemple, peut-être que tout le monde n'est pas aussi convaincu que les Français que ces derniers détiennent le monopole de la volonté d'apporter des solutions humanistes aux problèmes dans le monde ni que les interventions américaines n'apportent que larmes et désolation. Et dans cette lignée, les Ivoiriens et les Libériens rejoignent nombre de Britanniques, d'Italiens, d'Est-Européens, et, bien évidemment, d'Américains. |
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